Nicolas Tardy

Pouvez-vous donner une brève définition du détournement ?

Détourner des flux d'information, "des données" pour faire un nouveau flux. Les flux que j'utilise peuvent provenir de sources diverses (presse people, presse d'information générale, presse musicale, presse informatique, textes littéraires, textes de romans photos, manifestes artistiques, bulles de "comics"…), chacune avec ses codes spécifiques. Les flux que je choisis de détourner me parviennent, à 99 %, déjà sous forme écrite (papier ou web).

Pourquoi le pratiquez-vous ?

Probablement pour reconstruire le "monde", ce "réel" qui nous échappe (et moi-même je ne me sens pas très bien).

Comment le pratiquez-vous ?

1) Avec filiations, délectation, conviction, humour à la con… et prudence !

2) Comme déclencheur, pour l'écriture d'un texte, équivalent à la tache pour les peintres surréalistes.

3) Comme morceaux manipulables (détournement et (re)montage souvent imbriqués). La poésie m'apparaît avant tout comme l'écriture des raccords (vous pouvez prendre cela dans plusieurs sens). Le plus souvent, je collecte des fragments de texte qui attirent mon attention pour diverses raisons : ambiguïté de sens (donc ouverture multiple), récurrence d'un terme dans plusieurs prélèvements (donnera un rythme), fragment narratif incongru (car décontextualisé)… Tout cela - biopsies, dirait Heidsieck -, devient alors les pièces d'un puzzle non pré-déterminé, où les raccords chaotiques m'entraînent – je l'espère – hors de mes automatismes d'écriture.

4) Comme objet prêt à l'emploi. Pour PAS RÉSUMABLE (Éd. Contre-Pied), j'ai senti à un moment de l'écriture le besoin d'une description de paysage, j'ai alors préféré découper quelques lignes dans un livre de la collection Arlequin - Tout un monde d'évasion - , plutôt que d'aller me planter dans la nature et d'écrire quelques chose… qui ne serait pas forcément moins stéréotypé.

5) Comme modèle de structure (dispositif ?). Catalogue (Éd. de l'Attente), utilise la structure des légendes des œuvres à la fin des catalogues d'exposition (nom de l'œuvre, matériaux, dimensions, provenance). Ce que j'ai écris/inséré dans ce moule émane de mon "propre" flux.

Quelle place occupe-t-il dans votre travail ?

Centrale, mais non exclusive.
Je lui fais des infidélités en le rejetant volontairement (Vanités, Éd. Fidel Anthelme X), pour mieux le retrouver, qu'il me surprenne encore dans la pratique.
Je le frotte également à d'autres éléments (notes "sur le motif" dans PAS RÉSUMABLE, Éd. Contre-Pied).

Quelle est la place du détournement dans la création littéraire et artistique aujourd’hui ?

Peut mieux défaire !