Isabelle Zribi


Pratiquez-vous l’image, la surface, le montage ?

Je pratique l’image qui émerge directement du texte. Je prends les mots au pied de la lettre. Quand on prend les mots au pied de la lettre, le plus souvent des images incongrues surgissent. Le livre que je suis en train de terminer, qui porte sur un pays imaginaire et futur, Bathory, est plein de ce type de jeux. L’inverse est également vrai, et m’intrigue aussi. La psychanalyse nous apprend que les histoires que nous formons dans nos rêves constituent en réalité des phrases. Par exemple si je rêve de la bibliothèque Sainte Geneviève et qu’il est question de changer de cheveux, peut-être que je rêve d’un balancement entre un che-veux (je veux) et un je-ne-veux. Quand on parle, on fait apparaître des ribambelles d’images, d’images souvent incongrues. J’essaye de me demander, je veux dire, de me demander en écrivant, quel type de cinéma nous projetons en parlant. En pratiquant ce cinéma de cinéaste non pratiquant, je crée des effets de surface. Car les images que les mots projettent sont glissantes. La grande glisse, ça peut être le kif, mais ça peut être aussi casse-gueule. En créant ces effets d’images à partir du texte, j’ai eu envie de monter une installation à propos du roman que j’écris. Curieusement non pas pour faire image là où le texte devrait se taire, mais plutôt pour donner aux images textuelles la plénitude de leur incarnation. En ce moment, les poètes contemporains parlent beaucoup de montage. On dit " moi je monte mes textes… ", comme s’il s’agissait de quelque chose de hype, de révolutionnaire. Le nouvel äge du texte. Le texte qui ne fera jamais son age : le film. Mais les films vieillissent, et le montage aussi. En réalité on veut dire quoi ? On veut dire qu’on fait du foundfootage c’est-à-dire qu’on récupère des trucs qu’on colle avec une certaine cohérence de rythme de forme ou d’idée. Ca s’est toujours fait. Par exemple Huysmans avait récupéré pour l’écriture de Là-bas une lettre d’une ancienne maîtresse, et l’avait utilisé presque texto, ce qui l’avait d’ailleurs rendue furieuse. En faire le mot d’ordre d’une soit disant nouvelle poésie me laisse un peu perplexe. Avec cette installation que je mets en place avec Charlotte Redler, nous avons toutes deux vu Adrien, le monteur, agir sur le film, et j’avoue que cela m’a captivée : cette obsession maniaque de l’équilibre (entre les lumières, entre les niveaux de voix), la fébrilité de la souris sur les deux écrans sur lesquels il montait les films, les mots du montage, l’ours, les rolling titles, les drops, les flashs et les fondus, au blanc, au noir, la colorométrie, le logiciel Avid…Le montage m’évoque l’écriture, le combat avec la machine, la machine de la langue, que je tente de dominer, mais qui sans cesse me manipule.

L'influence du 7e art, d'un ou de films en particulier, sur votre travail ?

L’influence du cinéma sur mon travail est difficile à déterminer. Des films comme Salo de Pasolini, ou Les larmes amères de Petra Von Kant, ou Martha de Fassbinder, Les nains aussi ont commencé petits d’Herzog ou encore Les Canibales d’Oliveira m’ont énormément intéressée, et sans doute changé quelque chose à mon travail. L’exercice de la cruauté, de la cruauté de l’image elle-même sur le spectateur, leur amoralité libératrice, la déconstruction du corps de l’acteur devenu chose ou mannequin, leur humour cinglant…Mais il est difficile de savoir précisément ce qu’ils changent. Souvent, je me dis que le cinéma est plus audacieux que la littérature. Il m’arrive de penser que Jean-Luc Godard, oui, est le plus grand écrivain contemporain vivant. Je suis convaincue que les livres finiront par ressembler à des films de Jean-Luc Godard, quand ils deviendront numériques. Du moins, on peut espérer que les bons livres finiront par leur ressembler.

Film/vidéo

Biographie

Bathory 2 (vidéo, 1'47 mn, 3,4 Mo)

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