Lidée de derrière la tête des idées croit passionnément à leur caractère changeant. Les idées changeantes font doriginales solutions aux problèmes et viennent avec les idées. La clef des idées est le défi. Venu dune proposition qui ne vise quun but, le défi prend la suite et fixe la pensée sur ce que les idées doivent faire plutôt que dire. En définissant exactement ce quest le défi auquel faire face, on se concentre sur la chose. Le défi nest pas le but de laffairement mais ce que les idées ont à faire pour latteindre. Il est lénoncé de la métamorphose que lon veut obtenir des compor-tements. Les idées laissent faire tout ce qui est nécessaire à deviner le défi. Elles ne prescrivent ni ceci ni cela pour réponse, qui peut être du jamais vu, celui-là même excellent toujours. Les idées demandent à tous de penser et vivre différemment de la façon dont on vivait dordinaire, de la façon dont beaucoup vivent encore, et que vienne leau claire entre eux et nous. Ceux de laffairement doivent aussi penser différemment. Les idées créent ce dont laffairement a besoin, pas nécessairement ce que veulent ceux de laffairement. Elles distillent, raffinent ensuite ce quelles ont distillé jusquà ce quil nen demeure plus que lessence absolue la plus transparente. Si les idées minimisent les faits, elles amplifient la liberté : la distillation supprime les contraintes, la transparence signale les culs-de-sac à éviter, le raffinement laisse un ciel bleu. Il est dur décrire, ça nest pas pour les employés de bureau. Il faut un penser soigneux, habile, profond, en place de cases à cocher vite fait ou de clichés. Les clichés sont illisibles, paresseux, sans inspiration. Bref, on se concentre ; on est plus adroit, plus incisif, plus décisif ; on est entre soi ; au meilleur de lénergie, de limagination, de louverture desprit ; sans mélancolie. Et vient au cur des idées lextraordinaire création de lidée changeante. Les idées sont conçues à la croisée du défi. Elles ne peuvent lêtre sans la croisée du défi qui doit se tenir quand lidentification de laffairement, avec ceux de laffairement ou mieux encore sans eux, est encore fraîche. La croisée du défi définit le défi qui ne saurait être proprement défini si elle est incomplète. Quun seul manque on siffle, on ne passe outre en aucun cas, on fuit la croisée : elle na pas lieu. La croisée du défi est loccasion dexposer laffairement ; les arrière-plans pertinents sont discutés et pensées les façons dont laffairement rompt ses propres conventions. La question de lHomme doit être identifiée, elle est centrale, elle est vitale. Tout ce qui précède nest quun échauffement en vue de définir le défi qui nest tout simplement et par définition que lencapsulation inspirée de ce quune idée a besoin de faire pour résoudre le problème ou croiser lopportunité de laffairement. Le temps est venu que chacun discute des différentes voies qui mènent au défi et présente théories, pensées, hypothèses, doutes, opinions, vues et réponses. A ce point, il ny a rien qui soit faux là-dedans, car la croisée du défi est exploration. On na pas véritablement croisé le défi tant que lobjectif de laffairement na pas été compris de même que la question fondamentale de lHomme qui lui est liée ; tant quon na pas défini le défi ; tant quon na pas identifié quels éléments supplémentaires, sil y a lieu, sont nécessaires. Décrire le défi est la part la plus difficile des idées, la plus critique aussi. Si cela prend du temps, ce nest pas que lon soit lent, cest que lon en reconnaît limportance. Ce doit être provocant, gros, ambitieux, la chose que lon puisse atteindre la plus grosse. Mais dès que la croisée du défi a eu lieu, la description est aisée. Nimporte qui peut sy mettre, quil soit désigné sil vous plaît. Si lon a pas croisé le défi, on laisse la plume tant quon y soit allé. Les choses vont ensuite de façon organique, les idées sont filtrées, les tendances discutées, il y a du bavardage. Nouveau regroupement, nouveau penser, nouvelles recherches, on discute ce qui est écrit, on lamende peut-être. Il est possible quil faille plus dun nouveau regroupement afin dobtenir lagrément. Cest que lon traite de questions grosses de laffairement, du défi, des voies de la création. On décide éventuellement dune direction, doù quintroduire le créateur soit essentiel en tous points. Ainsi le créateur approuve-t-il la di-rection quil peut exécuter.
Oh, vous autres ! dites-moi ! encore une fois pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Les idées bien entendu et derrière les idées, la conviction que le procès du créateur nest ni rigide ni formulaire. On pourra et devra partir avec un choix de voies avant de décider dune seule direction : lidée. On se souvient cependant que lidée nest pas le point de départ, cest pourquoi lagrément est nécessaire, et non le simple et vague consensus. Les idées conduisent à penser leur cible un réel. Un réel réellement vif, non la réalité dénombrée. Le réel est plus coriace, certes, mais plus précis. On doit atteindre le vrai quand il est dans le vrai, on le pense dans la totalité de son temps, pas seulement dans le temps de sa médiation. Les idées nordonnent pas, excepté labsolu, le positif, lindubitable ; rien dautre qui coupe la main créatrice. La page doit être aussi courte que possible ; rien ny vient que le nécessaire, cest un lieu sans laïus. Cela prend du temps dêtre bref, on le prendra. Les idées ne sont pas pur discours, elles sont inspiration ; on rendra les idées vivantes en usant des mots comme on attend quon use des idées : on ne dit rien, on inspire. On ne doit pas toujours discourir ici. Sil paraissait convenable et inspirant de discourir ailleurs, on le ferait. Si cela était et quon ne sortît pas, on ne serait créateur mais prêtre. Après-coup, que lon jette un il en arrière. Le procès a-t-il eu lieu ? A-t-on été créateur ? A-t-on discouru ? La vie a-t-elle été grande ? Aurait-on pu faire mieux ? Que lon soit honnête. Quon ne truque ni ne maquille désormais. Les idées réclament un changement radical de la façon de penser et de vivre. Elles se placent au centre même de leffort, à leur place. La vie est ridiculement simple, son bénéfice dune aveuglante évidence. Ah bon. Et laffairement, les idées changeantes, seraient gros de vos es-pérances à la croisée de vos défis ? Je vous ai montré dun coup de plume que le fruit pourrit sans germe : je suppose aujourdhui même que vous ne vous reconnaissez pas exactement, ni au poil près les idioties que vous venez de prononcer ; oui, je les ai bougées, je les ai détournées (pour une définition sûre du détournement, voyez Les lèvres nues, numéro 8, mai 1956). Vous êtes les Palissot nombreux dont la page ne sort pas. Cest lheure dêtre prophète : idées changeantes, affairement et vous-mêmes disparaîtrez croyant memporter mais voici une chose que vous ne savez pas : aujourdhui je suis immortel. Cest aussi lheure dêtre sérieux. Le coup de plume est le coup de brosse qui éclaircit le velours ; un léger dé-placement, la parence est plus vive, ce qui me retient décrire : peut-on vivre à vif incessamment ? Léthique est là, tant que jai de quoi vivre : me foutre de vous et de vos envoûtements. Cest un mot dArtaud, un mot Artaud (oui, un marteau), jy suis. Je suis moi-même aujourdhui même envoûté. De même envoûté je lai moi-même été aujourdhui même. Vous constatez avec moi quaujourdhui qui reprend le futur à pleins bras se saisit avec ses envoûtements du passé. La voûte qui me courbe, cette fourche caudine, nest pas la glaise où vous faites vos enchantements malfaisants, et pourtant jose accepter lerreur dune étymologie sonore et orthographique, dites signifiante. Le grand prêtre ou le sorcier invoque dailleurs les cieux avant ses interventions et demande au soleil de suspendre sa brillante carrière. Qui tord le col dArtaud, le vôtre et le mien vers la glèbe, qui donc vous envoûte, envoûte Artaud et menvoûte ? Doù vient ce discours de laffairement ? Artaud répond en long et en large au livre XXVI de ses uvres complètes. Je ne vous en mets pas un bout comme je fais de Voltaire et Palissot. Aujourdhui je fais tout moi-même, je ne vous indique plus que les livres à ouvrir à moins que je ne les passe à la moulinette, à la bétonnière, au pétrin. Ma cuisine est muette, le grand livre nen est pas un de recettes exotiques. Assez là-dessus.
Dominique Meens, Aujourdhui je dors, pages 71 et suivantes, éditions inconnues.
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