Le Boukhistan Géographie Situation : 369° de longitude sud, 100 % de latitude. Précaire : dépend trop du tourisme. Le Boukhistan a longtemps vécu à labri des pierres de son désert, puis quinze siècles dans les roseaux de son marécage, suite à un déluge, roulé alors sur lui-même au milieu des bêtes. Jusque-là tout allait bien, des dieux incompréhensibles effrayant les visiteurs. Cest quand le pays sest ouvert aux missionnaires puis au commerce que sa configuration a changé. Avec les grandes découvertes, linstruction publique puis laviation, ce fut la catastrophe. Au fil du temps, les Boukhistanois semblent avoir construit une ville, chacun se bâtissant une maison à la suite de la précédente, abandonnée après la disparition de son occupant. Comme si tous avaient voulu poursuivre une tradition, en délaissant lhéritage pour repartir à zéro. Le plus étonnant est lalignement de ces habitations successives : en quatorze rangées groupées par quatre ou trois que séparent trois terre-pleins où aucune trace de fondation na été décelée. On ignore combien il a fallu de siècle pour que ce dispositif se mette en place. Daprès ce quil en reste, les pièces des maisons avaient des formes peu communes : rondes, triangulaires, ou combinant droites et courbes. Des murs droits prolongent sans fonction apparentes des cases rondes. Dautres murs rectilignes ne se rattachent à rien. Deux types fréquents de logis sont composés dune pièce fermée en demi-lune ou en goutte deau et dune pièce ouverte aux murs incurvés. Un autre type répandu comprend deux pièces ovales ouvertes disposées dos à dos. On a relevé sur le terrain une cinquantaine de plans différents. Rien ne permet de dire si les Boukhistaniens occupaient dans le passé un ou plusieurs abris. Lhabitant actuel du pays refuse de donner la moindre information, se limitant à pousser des cris de sauvage au fond de la vallée. Certains touristes ont peur, dautres sen amusent. Bien que vivant en ours, les Boukhistanis se sont transmis de non-génération en non-génération un système numérique sans équivalent. Quil soit noté par des lettres, comme dans dautres cultures, a trompé bien des savants. Les moins bornés ont établi un ordre croissant des lettres, se disputant entre K J H F X G B V M C I D U L A I R S E et Z J H P X G B V M C I D O L A I R S E ou W J H Q X G B V M C I D U L A I R S E, jusquà ce quun Champollion de larithmétique boukhistane décide que K W Z avaient la même valeur, ainsi que F P Q et O U. Mais quelle précisément ? Il a fallu quun sage indien de Bombay tranche : K W Z = 0. Si cela est, un psychanalyste de Cincinnati a conclu que F P Q = 3. Un urbaniste bourguignon a rétorqué quil « fallait peu quadriller » pour trouver que F P Q = 4, et il avait raison. Donc J = 2, H = 3, X = 6, G = 8, B = 9, V = 12, et cetera, jusquà S = 68 et E = 90. Cest là ce quun physicien malien a déduit dun grimoire secret (non communiqué), démontrant du même coup quau Boukhistan linfini est égal à 22 287 (hypothèse moyenne) ou à zéro (axiome absolu, si lon inclut K W Z dans le calcul). Des scientifiques de diverses disciplines ont longuement discuté de lusage dun tel système. Pour finir, un lettré nippon ni mauvais a fait remarquer quaucune lettre ne chiffrait le nombre 1 dans ce pays dermites, et que les solitaires devaient lexprimer par la soustraction B G (« bien moins gogo ») ou la division O / U (« oméga sur-ultime ») puisque O et U = 27. Les média ayant déjà cessé de sintéresser à la question, sa contribution est tombée dans loubli dun site internet. Le Boukhistaniaque pratique tous les arts, sadonnant plus particulièrement à la peinture et à la danse, quil combine de façon remarquable. À lui seul, il exécute un pas de cinq époustouflant, changeant de costume toutes les deux mesures. Son choix est déterminé par le gros dé pentaédrique quil fait rouler dun pied tandis que ses autres membres vite se vêtent ou se dévêtent. Si le dé sarrête sur 33, il est en noir et danse le vol de la mouche en bzzeutant de la bouche. Jusque là, facile ! Sur 90, le voici chevalier blanc avec lance et ombrelle qui patine sur la glace avec force vapeur sortant des naseaux. Cest le plus spectaculaire. Sur 36, est-ce parce quil boit ? il est rouge de colère et crache en riant. Cest peu ragoûtant. Mais sur 27, il se met au vert, plus calme, flotte sur la vague, se penche sur un livre. Sur lautre 27 du dé, le voici qui fait lange bleu, claironnant une chanson sur les yeux dune belle. Ce truc marche à tous les coups, dommage quil ny ait pas de public. Mais comment, me direz-vous, distingue-t-il les deux faces 27 ? Cest quelles nont pas la même lettre, allons (voir < Sciences >) ! Ce spectacle est-il passé à la télévision ? La réponse est non. Qui la vu alors, et vous la raconté ? Un voyageur, il y a longtemps. Jacques Demarcq |
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